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Le Carnet du Destin

 




La découverte



Le bâtiment semblait oublié du monde. Les vitres poussiéreuses de la vieille bibliothèque filtraient à peine la lumière du soir, jetant sur les étagères de longues ombres inquiétantes. Dangelo, un étudiant au pas pressé, poussa la porte grinçante avec l’impression d’entrer dans un autre siècle.


Il devait simplement rendre un livre. Mais, comme souvent, sa curiosité l’entraîna plus loin.

Il s’aventura entre deux rayons reculés où personne ne mettait jamais les pieds. L’odeur du papier ancien, mélangée à la moisissure, lui donna un léger vertige. Et là, presque dissimulé derrière un dictionnaire abîmé, il aperçut un petit carnet sans titre.


La couverture était noire, usée par le temps, et une étrange chaleur sembla lui parcourir les doigts au moment où il le prit. Intrigué, il s’assit à une table déserte et l’ouvrit.


La première page était remplie d’une écriture fine, presque élégante.

Dangelo lut à voix basse :


« Le jeune homme déposera son livre en retard, puis il trouvera ce carnet oublié, posé entre deux rayons, dans la bibliothèque silencieuse… »


Il se figea. Son cœur battait plus vite. C’était exactement ce qu’il venait de vivre.


« Ça alors… » murmura-t-il, en passant rapidement aux pages suivantes.


Les lignes décrivaient des gestes simples, des détails de sa journée passée : son café renversé du matin, la dispute entre deux camarades de classe, son retard au cours. Tout était là, minutieusement noté.


— Vous êtes encore là ? fit une voix douce derrière lui.


Dangelo sursauta, refermant le carnet brusquement. C’était Shesca, la bibliothécaire, une jeune femme au regard vif, qui le fixait avec un mélange de curiosité et de reproche.


— Je… oui, balbutia-t-il. Je… je regardais juste un livre.


Shesca haussa un sourcil.

— Un livre sans titre, hein ? On dirait que ce carnet vous a choisi.


Il n’osa pas répondre. Mais au fond de lui, il le savait déjà : ce carnet n’était pas un simple cahier oublié.



Les premiers mots



Dangelo rentra chez lui le carnet serré contre sa poitrine, comme s’il portait un secret trop fragile pour être exposé. Toute la nuit, il resta éveillé à tourner ses pages. Les phrases semblaient l’attendre, alignées comme des miroirs de sa vie passée.


Mais ce qui le troubla le plus, c’était la dernière ligne écrite :


« Demain, à dix heures précises, undevant lui. »


Il ferma brusquement le carnet. Était-ce une blague ? Une coïncidence ? Ou pire… une prédiction ?


Le lendemain, il tenta de reprendre sa routine, mais l’idée le hantait. À dix heures, il s’assit dans un café près de la bibliothèque, carnet caché dans son sac. Le temps semblait suspendu.


Et puis, cela arriva.


Une jeune femme entra précipitamment, trébucha en cherchant de la monnaie, et laissa tomber un foulard bleu clair à ses pieds. Dangelo resta pétrifié. Elle s’excusa rapidement, prit son foulard et disparut.


Il ouvrit le carnet. La ligne suivante était déjà écrite :


« Le jeune homme comprendra que rien n’est dû au hasard. »


Dangelo eut un frisson glacé.




Plus tard dans la journée, il retourna à la bibliothèque, incapable de garder ce poids pour lui. Shesca rangeait des ouvrages sur une étagère. En le voyant, elle plissa les yeux.


— Alors ? Ce carnet… il t’a troublé, n’est-ce pas ?


Il hésita. Mais son regard semblait deviner ce qu’il n’osait dire. Alors, il posa le carnet sur la table, l’ouvrit, et lui montra la page.


Shesca lut attentivement, puis leva la tête.

— Ce n’est pas la première fois qu’on me parle de ce carnet, dit-elle d’une voix basse. On dit qu’il apparaît seulement à ceux qui refusent de croire au destin…


Dangelo la fixa, incrédule.

— Et toi, tu y crois ?


Elle esquissa un sourire mystérieux.

— La vraie question, Dangelo, c’est : es-tu prêt à savoir ce que demain t’impose ?




Le doute



Dangelo n’avait jamais eu l’impression que sa vie pouvait être tracée à l’avance. Il s’était toujours cru maître de ses choix : ses études, ses amitiés, même ses erreurs. Mais depuis qu’il avait ouvert ce carnet, tout semblait différent, comme si chaque geste, chaque souffle était déjà écrit.


Il voulait des preuves.


Assis à son bureau, le carnet ouvert devant lui, il écrivit sur un papier : “Demain, je ne sortirai pas de chez moi. Rien ne se passera.” Puis, en défi, il attendit de voir si le carnet allait le contredire.


Le lendemain matin, il n’osa pas bouger. Il resta enfermé, fenêtres closes, téléphone éteint. Pourtant, quand il rouvrit le carnet, une nouvelle phrase l’attendait, tracée dans la même écriture fine :


« Le jeune homme restera cloîtré, pensant ainsi échapper au destin. Mais à midi, quelqu’un frappera à sa porte. »


Un frisson parcourut sa nuque. Il se leva brusquement, la gorge sèche. À midi pile, trois coups résonnèrent.


Toc. Toc. Toc.


Il hésita avant d’ouvrir. C’était Shesca.


— Tu n’es pas venu à la bibliothèque, dit-elle calmement. J’ai eu comme… une intuition.


Dangelo recula, le cœur battant. Était-elle, elle aussi, guidée par ce carnet ?


Ils s’assirent autour de la petite table. Shesca parcourut les pages en silence, ses yeux brillant d’un mélange de crainte et de fascination.


— Tu vois, souffla-t-elle, ce n’est pas toi qui choisis d’ouvrir le carnet. C’est lui qui choisit ce que tu dois lire.


— Alors quoi ? Je ne suis plus libre ? demanda Dangelo, la voix tremblante.


Shesca posa sa main sur la sienne.

— Peut-être que la liberté n’est pas d’échapper au destin… mais de décider comment l’affronter.


Dangelo resta silencieux. Mais au fond de lui, une peur sourde s’installait : et si ce carnet ne se contentait pas de prédire… mais d’influencer sa vie ?






La confiance impossible



Les jours suivants, Dangelo ne pouvait plus vivre normalement. Chaque fois qu’il ouvrait le carnet, une nouvelle ligne apparaissait, décrivant un détail de son avenir. Parfois banal — une tasse de café renversée, un professeur en retard — mais d’autres fois plus troublant.


Puis, une nuit, il lut une phrase qui glaça son sang :


« Dans trois jours, son ami le plus proche sera victime d’un accident qu’il ne pourra empêcher. »


Le carnet resta ouvert sous ses yeux. Les mots semblaient brûler sur le papier. Dangelo referma le cahier brutalement et le jeta sur son lit, mais il passa la nuit entière à trembler, incapable de dormir.


Le lendemain, il retrouva Shesca à la bibliothèque. Elle vit immédiatement son état.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-elle d’une voix inquiète.


Il hésita, puis finit par murmurer :

— Le carnet… il a écrit que mon ami va mourir. Dans trois jours.


Un silence pesant s’abattit. Shesca le fixa longuement, comme si elle cherchait à lire en lui.

— Tu ne peux pas être sûr. Peut-être que le carnet se trompe…


— Mais il ne s’est jamais trompé, protesta Dangelo. Jamais !


Shesca ferma les yeux un instant, puis répondit doucement :

— Alors il y a deux possibilités. Soit ce qui est écrit est inévitable… soit tu as le pouvoir de le changer. Mais dans ce cas, à quel prix ?


Dangelo sentit la panique l’envahir. S’il prévenait son ami, allait-il seulement le croire ? Et s’il essayait d’empêcher l’accident, est-ce que le carnet trouverait une autre façon de l’accomplir ?


Le soir venu, il rouvrit le carnet. Une nouvelle phrase était apparue, comme une provocation :


« Plus il tentera de fuir le destin, plus il le rapprochera de sa propre chute. »


Dangelo referma violemment le carnet, le souffle court. Pour la première fois, il pensa sérieusement à le détruire.


Mais une question l’obsédait :

Et si, en brûlant le carnet, il brûlait aussi la seule chance de sauver son ami ?






Le passé du carnet



Dangelo n’en pouvait plus de l’attente. Trois jours… Trois jours avant l’accident annoncé.

Il n’arrivait plus à respirer normalement, chaque heure qui passait lui semblait une course contre un piège invisible.


— On doit savoir d’où vient ce carnet, dit-il à Shesca, les yeux rouges de fatigue. Il n’a pas pu apparaître de nulle part.


Shesca réfléchit un instant, puis hocha la tête.

— Il y a une rumeur parmi les anciens employés de la bibliothèque… Ce carnet aurait appartenu à un écrivain d’autrefois. Un certain Professeur Dumas.


— Qui c’est ? demanda Dangelo, intrigué.


— Un auteur brillant, répondit Shesca. Il écrivait des histoires étrangement prophétiques. Certains disent qu’il prédisait les guerres, les famines, même la chute de gouvernements. Mais un jour, il a disparu sans laisser de traces.


Dangelo sentit un frisson.

— Et tu crois que… ce carnet est le sien ?


Shesca acquiesça lentement.

— Ça expliquerait pourquoi il n’a jamais publié ses derniers écrits. Peut-être que ce carnet a pris le relais.


Le soir même, ils fouillèrent dans les archives poussiéreuses de la bibliothèque. Shesca sortit une boîte contenant de vieux journaux. Dans l’un d’eux, un article attira leur attention :


“Le Professeur Dumas, écrivain et visionnaire controversé, a été interné après avoir affirmé que ses livres s’écrivaient seuls. Selon lui, une force mystérieuse guidait sa main. Il a disparu peu après sa sortie, laissant derrière lui un manuscrit inachevé…”


Dangelo serra les poings.

— Alors… je ne suis pas le premier à subir ça.


Shesca posa une main sur son bras.

— Peut-être que Dumas détient les réponses. Si on le retrouve, il pourra t’expliquer comment tout a commencé.


Ils se regardèrent en silence. Pour la première fois, Dangelo sentit que son sort était lié à celui d’un inconnu disparu depuis des années. Mais une certitude le hantait déjà :


Si le carnet avait choisi Dumas avant lui… c’est qu’il avait aussi choisi de le perdre.




L’ombre de Dumas



Les jours s’égrenaient dangereusement, rapprochant Dangelo de la date fatidique annoncée par le carnet. L’idée de perdre son ami l’obsédait. Mais plus encore, il voulait comprendre qui avait ouvert cette brèche dans sa vie.


Avec Shesca, ils suivirent la piste du Professeur Dumas. Le peu d’indices retrouvés dans les archives les mena vers une petite ville reculée, à plusieurs heures de route. Là, un vieil homme, ancien imprimeur, se souvenait vaguement de lui.


— Dumas ? Oui, je l’ai connu, répondit-il en ajustant ses lunettes épaisses. Un génie, mais… tourmenté. Il disait que ses histoires ne venaient pas de lui, mais d’une plume invisible. Beaucoup le prenaient pour un fou.


— Savez-vous où il est maintenant ? demanda Dangelo avec insistance.


L’imprimeur baissa la voix, comme si le simple fait d’évoquer son nom pouvait réveiller un mauvais esprit.

— On raconte qu’il vit encore… dans une maison isolée, au bord de la forêt. Mais faites attention. Ceux qui l’ont cherché n’en sont jamais revenus.


Un frisson parcourut Shesca. Mais Dangelo, déterminé, répondit sans hésiter :

— Alors on ira.




Quelques heures plus tard, ils atteignirent une demeure délabrée, presque engloutie par les arbres. Les fenêtres étaient condamnées par des planches, et la porte grinçait sous le vent.


Ils frappèrent. Pas de réponse. Alors qu’ils s’apprêtaient à repartir, une voix rauque retentit derrière eux :


— Vous avez trouvé le carnet, n’est-ce pas ?


Dangelo et Shesca se retournèrent brusquement. Un vieillard amaigri, vêtu d’un manteau râpé, se tenait dans l’ombre des arbres. Ses yeux brillaient d’une lueur étrange.


— Vous êtes… Dumas ? souffla Dangelo.


Le vieil homme s’avança lentement, comme si chaque pas lui coûtait un effort immense.

— Ce carnet est une malédiction. Il ne prédit pas… il enchaîne. Et maintenant, il t’a choisi, toi.


Dangelo sentit son cœur s’emballer.

— Pourquoi moi ?


Dumas esquissa un sourire amer.

— Parce que tu crois encore pouvoir changer ton destin. C’est ainsi qu’il attire ses victimes.


Shesca, pâle, prit la parole :

— Alors dites-nous comment s’en libérer.


Le vieil écrivain les fixa longuement, avant de murmurer :

— On ne détruit pas ce qui n’existe pas. Le carnet n’est qu’un reflet. Tant que vous lirez, vous serez son prisonnier.




Le choix impossible



La rencontre avec Dumas avait laissé Dangelo dans un état de tourmente intérieure. Les paroles du vieil écrivain résonnaient sans cesse dans sa tête : “Tant que vous lirez, vous serez son prisonnier.”


Mais comment arrêter de lire, alors que chaque page contenait peut-être l’issue de l’accident annoncé ?


La nuit suivante, il ouvrit le carnet avec des mains tremblantes. Une nouvelle phrase s’était inscrite, plus claire, plus tranchante que jamais :


« Dans vingt-quatre heures, son ami tombera sous les roues d’un véhicule. S’il tente de l’empêcher, le destin prendra un autre sacrifice. »


Dangelo resta figé. Ses yeux relisaient sans cesse ces mots cruels. Un compte à rebours s’était enclenché, et il n’avait qu’une seule journée pour choisir : laisser faire… ou agir, et risquer que quelqu’un d’autre — peut-être Shesca, peut-être lui-même — paie le prix.




Le lendemain matin, Shesca le trouva assis dans un parc, le carnet fermé sur ses genoux.

— Alors ? Qu’est-ce qu’il dit ? demanda-t-elle avec appréhension.


Dangelo inspira profondément.

— Il dit que si je sauve mon ami, quelqu’un d’autre mourra.


Shesca pâlit.

— Et si tu ne fais rien ?


— Alors… c’est lui qui partira, répondit-il d’une voix brisée.


Un silence lourd tomba entre eux. Le vent faisait bruisser les feuilles comme un murmure accusateur.


— Écoute, Dangelo, dit Shesca, le carnet ne doit pas décider à ta place. Tu n’es pas un pion. Tu peux choisir.


— Mais si je choisis, quelqu’un souffrira quand même ! cria-t-il, le regard fiévreux. C’est ça, la prison : peu importe ce que je fais, je perds.


Shesca posa sa main sur la sienne.

— Alors pose-toi la vraie question : vaut-il mieux vivre en essayant de sauver, ou en acceptant de perdre ?




Cette nuit-là, Dangelo se retrouva seul, fixant le carnet fermé devant lui. Le silence était assourdissant. Ses doigts tremblaient au-dessus de la couverture usée.


Une pensée obsédante lui traversa l’esprit :

Et si la véritable épreuve n’était pas d’empêcher la mort… mais de refuser de lire ?


Il leva le carnet, prêt à le jeter dans le feu. Mais alors, comme par défi, une nouvelle phrase apparut sur la couverture elle-même, écrite en lettres sombres qui semblaient gravées dans le cuir :

Le choix ne s’efface pas, il t’attend.

it sur le sol, un autre véhicule l’ayant percutée en surgissant de l’angle opposé.


— Non ! hurla Dangelo en se précipitant vers elle.


Ses mains tremblaient alors qu’il la serrait contre lui. Elle respirait faiblement, ses yeux cherchant les siens.

— Tu… tu as choisi, souffla-t-elle dans un murmure.


Dangelo leva la tête. Le carnet, tombé de sa poche, s’était ouvert tout seul sur le bitume. Une phrase s’y affichait, encore humide d’encre :


« Sauver une vie, c’est en condamner une autre. Le destin réclame toujours son dû. »


Dangelo sentit ses entrailles se tordre. Le carnet avait tenu sa promesse.


« Le choix ne « Le choix ne s’efface pas. Il t’attend. »s’efface « Le choix ne s’efface pas. Il t’attend. 

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