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Mieux Vaut Tard Que Jamais


Port-au-Prince, capitale vibrante d'Haïti, était un mélange de couleurs, de sons et d'arômes exotiques. Mais derrière cette façade joyeuse se cachait un autre monde, un monde silencieux et immobile. C'était le cimetière de Port-au-Prince, un lieu où les morts reposaient parmi des allées étroites bordées de tombes blanches.


Antoine était le gardien de ce cimetière depuis plus de quarante ans. Son père avait occupé ce poste avant lui, et avant cela, son grand-père. Pour Antoine, le cimetière était plus qu'un lieu de travail, c'était chez lui. Chaque jour, il parcourait les allées, entretenant les tombes, plantant des fleurs et veillant à ce que tout reste en ordre. Les visiteurs le saluaient poliment, le considérant comme une partie intégrante de cet endroit sacré.


Cependant, malgré toute l'attention qu'il portait au cimetière, Antoine n'avait jamais pensé à sa propre mort. C'était un sujet qu'il préférait éviter, se concentrant plutôt sur les vivants et leur douleur. Il aidait les familles à traverser le deuil, organisant des funérailles et fournissant des paroles réconfortantes lorsque nécessaire. Mais au fond de lui, il savait que le jour viendrait où il serait le suivant à être enterré ici.


Un jour, alors qu'il nettoyait une tombe ancienne, une idée lui vint à l'esprit. Antoine n'avait aucun arrangement pour sa propre sépulture. Il était seul, sans famille proche, et il savait que personne ne prendrait la peine de préparer son dernier repos. Cette pensée le troubla profondément, et il décida qu'il devait prendre des mesures pour éviter d'être oublié dans la ville animée.


Antoine commença par choisir un endroit discret dans le cimetière, un coin où les visiteurs ne se rendaient pas souvent. C'était un petit espace à l'ombre d'un grand arbre, un endroit où il avait souvent pris des pauses pour réfléchir. Il imagina que ce serait un endroit paisible pour reposer éternellement. Il creusa lui-même la tombe, prenant soin de rendre les bords droits et nets. Puis, il trouva une vieille pierre tombale abandonnée qu'il nettoya et grava à son nom.


Cette tâche devint une partie de sa routine quotidienne. Chaque soir, après avoir terminé ses tâches habituelles, Antoine passait du temps à entretenir sa propre tombe. Il plantait des fleurs autour du périmètre, ajoutait des pierres décoratives, et même installait un petit banc pour que les visiteurs puissent s'asseoir et réfléchir.


Les autres travailleurs du cimetière remarquèrent ce comportement, mais n'osèrent pas poser de questions. Antoine était un homme de peu de mots, et sa présence inspirait le respect. Ils pensèrent qu'il était simplement soucieux de maintenir l'ordre dans le cimetière, mais ils ne comprenaient pas la signification plus profonde de ses actions.


Les années passèrent, et Antoine continua son travail avec dévouement. Les familles qui venaient enterrer leurs proches l'appréciaient, et il était connu comme l'âme du cimetière. Mais à mesure qu'il vieillissait, il devint de plus en plus évident que ses forces commençaient à le quitter.


Un matin, alors que le soleil se levait à peine, Antoine ne se présenta pas au cimetière. Les travailleurs et les visiteurs s'inquiétèrent immédiatement. Ce n'était pas dans ses habitudes de manquer une journée de travail. Ils décidèrent de le chercher, craignant qu'il lui soit arrivé quelque chose. 


Ils commencèrent par sa petite maison, située non loin du cimetière. Elle était vide, sans signe de vie. Ils vérifièrent dans les rues environnantes, demandant aux habitants s'ils avaient vu Antoine, mais personne ne l'avait aperçu. Finalement, ils décidèrent de retourner au cimetière, pensant qu'il aurait pu s'y rendre tôt pour accomplir une tâche importante.


Lorsqu'ils arrivèrent, ils trouvèrent Antoine assis sur le banc près de sa tombe. Ses mains étaient posées sur ses genoux, et son visage portait un sourire doux et paisible. Il semblait s'être endormi là, profitant de l'air frais du matin. Mais en s'approchant, ils réalisèrent qu'il ne dormait pas. Antoine était décédé, comme s'il avait choisi ce moment précis pour rejoindre les âmes qu'il avait servies si longtemps.


Les travailleurs furent profondément touchés par sa mort, mais ils comprirent également la signification de son geste. Antoine avait préparé son propre repos, s'assurant qu'il ne serait pas oublié. Ils organisèrent des funérailles en son honneur, et les villageois vinrent nombreux pour lui rendre hommage. Ils parlèrent de sa gentillesse, de son dévouement et de la paix qu'il avait apportée à tant de familles endeuillées.


Le cimetière de Port-au-Prince n'avait jamais vu autant de monde. Les gens partagèrent des souvenirs, se souvenant des histoires que leur avait racontées Antoine, et ils savaient que bien qu'il soit parti, son esprit resterait toujours parmi eux. Au milieu des larmes et des rires, ils répétèrent une phrase qui, bien qu'un peu ironique, semblait résumer la vie d'Antoine : "Mieux vaut tard que jamais." 


Antoine était enfin propriétaire de son propre tombeau, mais plus encore, il avait trouvé sa place éternelle parmi ceux qu'il avait aidés à reposer en paix.

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